1991 – Écrire contre l’oubli, Amnesty International 1/7

Print Friendly, PDF & Email

Amnesty-logo

 

 

Si l’on me demandait de retenir une phrase dans l’ensemble de l’aventure de production que je vais relater ici, ce serait celle du scientifique François Jacob dans sa lettre adressée à Fidel Castro et filmée par Alain Resnais. Cette phrase, la voici :

 

 

Et oui, tout est dit, d’une certaine façon, tout est dit du combat d’Amnesty International qui s’attache à dénoncer les injustices de ce monde, à combattre l’aveuglement de ces dirigeants qui entendent convaincre leur peuple que l’arbitraire, celui des emprisonnements, de la torture et des assassinats, est la seule voie vers le bonheur.

 

Pour la genèse de ce périple cinématographique que fut la production des films Écrire contre l’oubli, il faut remonter assez loin car cette aventure résulte de la rencontre entre la nécessaire ambition de l’ONG Amnesty et la détermination d’une productrice qui, déjà toute jeune, investit son énergie – étonnante, on va s’en apercevoir – dans ce mouvement : Béatrice Soulé.

 

Peter Beneson

Peter Benenson

Amnesty International… Au tout départ, comme souvent, les choses partent d’un seul homme : en 1961, indigné par la condamnation de deux étudiants portugais à sept ans de prison pour avoir porté un toast à la liberté en pleine dictature Salazar, l’avocat britannique Peter Benenson lance un appel dans l’hebdomadaire The Observer. Intitulé Les prisonniers oubliés, cet article présente les cas de 6 personnes emprisonnées pour dissidence et lance un appel à l’amnistie. Cette campagne obtient un succès inespéré ; elle est reprise dans les journaux du monde entier et témoigne que des personnes peuvent s’unir pour, solidairement, défendre la justice et la liberté. Amnesty International est née. 56 ans plus tard, à l’heure où j’écris ces lignes, Amnesty International, auréolée d’un Prix Nobel de la Paix et de moult autres reconnaissances émanant du monde entier, compte 7 millions de membres. Conséquente boule de neige.

 

souleBéatrice Soulé, dès ses vingt ans, s’engage comme bénévole dans l’organisation. En 1971, pour le dixième anniversaire du mouvement, elle met à profit ses compétences pour les multiples concerts qui, dans tout l’hexagone, apportent leur soutien à la branche française d’Amnesty. Elle va poursuivre son bénévolat en coordonnant les initiatives que les différentes sections d’Amnesty France mettent en œuvre pour étendre l’action de l’organisation. C’est à cette époque qu’elle se lie d’amitié avec Vladimir Vinaver, oncle du dramaturge Michel Vinaver ; Vladimir est polyglotte et met toute sa science dans les traductions que doit gérer au quotidien cette institution à dimension internationale. Arrivent 1981 et le 20e anniversaire d’Amnesty. Qu’il convient de marquer. Attachée de presse dans l’univers des Variétés et forte d’un carnet d’adresses qui s’est épaissi avec les années, Béatrice propose alors à Amnesty une idée pas vraiment simple à mettre sur pied mais toutefois lumineuse : utiliser le lundi, traditionnel jour de relâche des lieux de spectacle, pour organiser partout où ça sera possible des concerts de soutien. C’est Daniel Colling, producteur de spectacles et accessoirement patron du Printemps de Bourges dont Béatrice Soulé est par ailleurs attachée de presse (cf. 1977 – Avril, Un Printemps… à Bourges), qui, à Paris comme en province, est en charge de l’organisation des concerts. Ça, c’est la première partie de l’idée pour ce 20e anniversaire. La seconde entend démultiplier l’impact en y associant un média national. Antenne 2 rentre alors dans la danse et, le lundi Jour J, Béatrice court de théâtres en music-hall parisiens, sautant d’un car de télévision à un autre avec son réalisateur Dirk Sanders sous le bras, afin de saisir la substantifique moelle des prestations artistiques. Au montage, pour les enchaînements entre extraits de spectacles, elle opte pour des interséquences à base de photos.

Henri Cartier-Bresson

Henri Cartier-Bresson

 

C’est ainsi que Béatrice collabore pour la première fois avec un maître incontesté du genre : Henri Cartier-Bresson. Elle détourne pour un temps le photographe de son propre univers pour lui confier la tâche d’harmoniser le fil rouge de l’émission en sélectionnant les photos des artistes en scène. Ce 20e anniversaire sera un gros succès, tant en salles de concerts que dans toute la France, les militants de terrain voyant leurs actions épaulées par l’audience nationale que trouve là le programme Amnesty International 20 ans diffusé sur Antenne 2.

 

 

 

Le Zénith Paris La Villette

Le Zénith Paris La Villette

Se passent à nouveau dix ans et arrive le 30e anniversaire de 1991. Daniel Colling, à l’initiative des Zénith, élaborés sous l’égide de Jack Lang, est devenu entre temps le patron de la toute première de ces salles de spectacles de grande audience : le Zénith Paris. C’est d’abord à lui que, à l’automne 90, Amnesty fait appel pour la production d’un grand concert de soutien célébrant ce 30e anniversaire. Mais des problèmes d’organisation et de planning des artistes font capoter le projet en janvier 91. Cellule de crise à Amnesty, il y a en effet urgence à mettre en chantier une autre idée et Vladimir Vinaver propose alors d’en appeler à celle qui a déjà maintes fois prouvé qu’elle savait en avoir. Conviée à la réunion suivante, Béatrice Soulé, devenue désormais productrice pour la télévision, pose alors une question qui laisse indécis les responsables d’Amnesty France : « N’êtes-vous pas lassés des concerts de soutien ?

– Peut-être, mais quoi d’autre ?

– Vous me laissez vingt quatre heures ? »

Et elle quitte les bureaux d’Amnesty, cheveux au vent.

Une expression avait cours dans la petite bande autour de Béatrice Soulé : « Les idées lui viennent chaque matin en mettant ses chaussettes. » En tout cas, chaussettes ou pas chaussettes, le concept pour Amnesty lui vient dès le lendemain matin.

A la réunion qui suit, Béatrice amène une idée qui laisse ses interlocuteurs d’Amnesty aussi enthousiastes que pantois. Il convient ici de rappeler que l’instrument premier du combat d’Amnesty dans les années 90 est La Lettre. Les membres d’Amnesty et les sympathisants sont invités à écrire leur propre lettre à un chef d’état qui séquestre, torture, ou a fait disparaître, des personnes pour leur simple opinion contraire à son gouvernement. Une lettre qui arrive au siège d’un gouvernement pour demander l’amnistie d’un détenu finit à la poubelle. Quand surviennent 50 000 lettres, les grandes poubelles ne suffisent plus. Si les chefs d’états totalitaires ne prêtent guère attention à leur propre opinion publique, ordinairement muselée, ils détestent en revanche être dans le collimateur d’Amnesty International car cela entache sérieusement leur image au niveau des Nations Unies, des médias et donc de l’opinion mondiale.

 

Pour son 30e anniversaire, Amnesty  International avait sélectionné 30 cas de prisonniers d’opinion dans de multiples pays, tous les membres d’A.I. à travers le monde étant appelés à intervenir pour ces mêmes 30 victimes. Et on retrouve Béatrice dans sa seconde réunion au bureau d’Amnesty France : « Pour ce 30e anniversaire, je vous propose de demander à 30 personnalités, issues du monde du cinéma, des médias, de la science, de la politique, bref, 30 personnalités incontestées et incontestables, de faire chacune une lettre pour défendre les 30 cas que vous avez retenus. Nous allons marier ces 30 personnalités avec 30 grands réalisateurs de cinéma, l’enjeu étant de tourner 30 courts métrages ou chaque couple de personnalités sera l’avocat de son prisonnier d’opinion. Ces 30 films, forts d’une affiche prestigieuse de 60 personnalités, devront ensuite faire l’objet d’un maximum de diffusions. »

Un silence suit la présentation du concept, apnée très vite interrompue par l’enthousiasme des gens autour de la table. « C’est une magnifique idée, aussi forte que simple et épousant parfaitement les procédures d’Amnesty. C’est emblématique, exemplaire, idéal ! »

 

Cet engouement premier est très vite suivi d’un mais…

 

« Euh… Béatrice, certes l’idée est heureuse, magnifique, mais… nous nous devons de rappeler que nous sommes en janvier… La date anniversaire de l’organisation tombe en décembre. Ce qui, à dater d’aujourd’hui, nous laisse 11 mois, soit même pas une année pour réaliser cette idée… magnifique, certes, on en convient tous, mais est-elle faisable ?

– Tout à fait faisable, renvoie Béatrice dont le doute, dans ces cas là, n’affleure jamais en surface.

– Où allons-nous trouver les trente personnalités en question ?

– Pas trente, soixante… Je m’en charge, avec votre aide, naturellement.

– Admettons… Mais pour mettre en œuvre une diffusion large, importante, qui va… ?

– Ça, c’est mon métier, je ferai en sorte qu’on ait un accord de diffusion nationale, j’ai déjà quelques idées sur le sujet.

Beatrice-soule– Nous n’en doutons pas, nous n’en doutons pas… mais, sans que nous soyons des spécialistes en la matière, on peut imaginer que la production de 30 films coûte… euh… un minimum.

– Un peu plus que ça, sourit Béatrice.

– Il est important de rappeler qu’Amnesty n’a aucun budget pour des événements d’une telle envergure…

– Là encore, c’est mon métier, je vais trouver l’argent et ne demande pas un sou à Amnesty. »

Et la réunion se clôt sur un feu vert donné à Béatrice, saluée pour ce superbe projet par l’ensemble de l’assemblée, dont une partie appréciable reste convaincue qu’il est, à bien des titres, complètement infaisable.

 

Quand je reviens aujourd’hui avec Béatrice sur cet épisode du décollage de la fusée, je lui cite cette belle sentence attribuée à Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». Béatrice rit et me corrige « Non… Ils savaient que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »

 

Vous ne connaissiez pas Béatrice Soulé ? Et bien voilà, en deux mots, vous l’avez toute entière.

 

L’étape suivante est Patrice Roger. Patrice, avec sa société de production PRV, est l’ami et le partenaire privilégié de Béatrice, elle a déjà signé nombre d’opérations pour lui en tant que productrice. Béatrice a sa propre société de production, Le P’tit Jardin (cf. 1991 – 10 mai, l’anniv’ de Tonton), mais cette structure est trop petite, trop légère, n’a pas les reins financiers suffisamment solides pour la dimension d’un projet tel qu’envisagé.

 

Patrice Roger

Patrice Roger

 

IP logoQuelques mots d’explications sur Patrice Roger, cet amour d’homme, aujourd’hui disparu. Au début des années 80, le jeune Patrice Roger bosse à la régie publicitaire du groupe RTL : IP. Soucieux de voler de ses propres ailes, il profite un beau jour d’une charrette d’IP et de son plan social pour décoller du nid. Mais il met toutefois une condition à son licenciement, partir avec un des concepts de la maison : Vidéo Maman, soient des programmes pour les maternités. IP lui abandonne sans regret l’idée vu qu’elle se bat mollement dessus, n’y croit pas. Les technologies de l’époque vont sourire à l’ambitieux car est arrivée depuis peu une toute nouvelle chose dans le quotidien des gens : le VHS. Patrice commence par produire des films-conseils pour les mamans en phase d’accouchement et part chercher des annonceurs pour les financer. PampersTout le monde a acheté des Pampers ou autres couches-culottes, qui valent la peau du cul pour protéger celui de nos bébés, et, de mémoire, on n’a encore jamais vu une entreprise les fabriquant faire faillite. Bien au contraire. Patrice trouve donc rapidement ses sponsors puis un bon nombre de cliniques prêtes à jouer le jeu. Toutefois, pour diffuser ses programmes alors qu’on est loin d’avoir inventé les chaînes câblées dans ces années 80, et encore plus loin d’Internet, il faut un support. Qu’à cela ne tienne, Patrice bourre un petit local de ces nouveaux magnétoscopes VHS, et vas-y donc que je te duplique les programmes Vidéo Maman à la chaîne. Toutefois, ces programmes ayant été dupliqués, l’armada de VHS s’endort et ne sert plus à rien. Patrice Roger s’associe alors avec Jean-Bernard Fétoux. A eux deux, ils n’ont pas été sans s’apercevoir que l’irruption des nouvelles technologies, dont en premier lieu ces fameux VHS, est en passe de bouleverser l’audiovisuel. La vidéo est en train d’échapper aux seuls maîtres du terrain jusqu’alors : les chaînes de télévision. De nombreuses, et petites au départ, sociétés de production privées se créent et en découlent une nécessité de duplication de leurs programmes. Le cinéma, pour sa part, n’est pas en reste car le marché du film à la maison explose et a donc lui aussi un besoin pressant de solutions pour dupliquer ses films. La centaine de VHS de la société PRV de Patrice Roger a du pain sur la planche. A tel point que, si on saute quelques années, on constate que les quelques magnétoscopes des débuts de Patrice se sont vus remplacés par les impressionnants laboratoires de duplication vidéo du groupe VDM dont Patrice Roger est administrateur et, de fait, un des tout premiers actionnaires.

 

VDM

 

En quelques années, VDM est devenu un acteur puissant du paysage audiovisuel de l’époque – en charge, par exemple, de la fabrication des écrans publicitaires pour des chaînes nationales de télévision -, tant et si bien que cette société va entrer dans le jeu des fusions-acquisitions en rachetant notamment l’historique laboratoire cinéma LTC, et ainsi atteindre au statut de holding : le groupe VDM-LTC.

 

LTC

 

Dans ce début des années 90, Patrice a pris ses distances avec le groupe VDM-LTC, dont il reste pour autant administrateur, afin de poursuivre son affaire Vidéo Maman mais surtout pour produire les programmes télévisions qui lui tiennent à cœur, ou pour s’associer avec des partenaires coproducteurs, créant par exemple, avec Le Printemps de Bourges, la société de production Printemps Images, celle-là même qui me verra faire mes premières armes au titre de directeur de production. La boucle est bouclée en ce qui me concerne, c’est, de fil en aiguille, l’enchaînement Daniel Colling/Béatrice Soulé/Printemps de Bourges/Printemps Images/Patrice Roger PRV qui va m’amener à débarquer dans cette production irréalisable : Écrire contre l’oubli.

 

Image extraite d'un documentaire sur le Printemps de Bourges 1988

Image extraite d’un documentaire sur le Printemps de Bourges 1988.

 

Quand Béa débarque dans les bureaux PRV de Neuilly, Patrice, très bel homme, souriant, lumineux, chaleureux, l’écoute avec attention et ne peut réagir à la fin de l’exposé que comme les responsables d’Amnesty : « Magnifique idée ! ».

 

Mais en même temps, il est, lui, un professionnel de l’audiovisuel et est donc payé pour savoir combien coûte un tel projet. « Trouver les stars, je connais ta force de conviction, ta détermination, je ne doute pas que tu y arrives. En revanche, financer ça dans le temps qui est imparti va tenir du prodige. Une telle aventure nécessite d’ordinaire, rien que pour le financement, au moins un an en amont. Là, tu as onze mois pour trouver le fric ET en même temps faire trente films !

– J’y arriverai.

– Si toi tu dis que t’y arriveras, je te crois, je te fais confiance. Alors, OK, j’en suis, je produis les films. »

 

Logo-PRV-couleur

 

Tout a l’air facile, raconté ainsi, mais ne nous trompons pas. Si Patrice Roger a ses bureaux et son appartement à Neuilly, s’il roule Jaguar, est patron d’une société de production bénéficiaire et administrateur du groupe VDM-LTC, ce n’est pas pour autant un magnat du pétrole riche à milliards. Il est confortable, certes, mais pas richissime. Mais Patrice Roger était ainsi fait, il fonçait dans les aventures des gens en qui il avait confiance, quand bien même elles étaient fragiles, incertaines, sans plan marketing… avec ce dossier Amnesty, il était servi. De combien de gens Patrice s’est-il fait le sponsor !? Il avait gagné des sous mais ne thésaurisait pas, pas son genre, l’argent, il fallait que ça serve. Encore mieux si c’était pour de grandes causes. Ou des toutes petites. Exemple : Caroline, ma femme, courait les banques pour trouver les sous nécessaires à la boutique de fringues qu’elle espérait ouvrir, et se voyait refuser un emprunt sous prétexte que nous n’avions aucun patrimoine en garantie. Un peu à bout de solutions, j’avais raconté ça à Patrice Roger : « Mais je me porte garant, aval, si tu veux » fut sa réponse immédiate. Et c’est ainsi que Caroline put ouvrir son magasin Cinecitta. Merci Patrice.

Une pub pour le magasin Cinecitta (1994)

Une pub pour le magasin Cinecitta (1994)

 

C’est juste après le rendez-vous avec Patrice Roger que j’interviens. Coup de fil de Béatrice : « Salut Jean-Pierre, tu fais quoi en ce moment ? »

Quand Béatrice Soulé te pose ce genre de question, il vaut mieux s’asseoir, prudemment, car on peut s’attendre à tout. Previously, comme on dit désormais quand on ne veut pas dire « rappel des épisodes précédents », Béatrice m’avait embarqué dans différentes productions ayant toutes le même point commun : celui évoqué un peu plus haut via Mark Twain. En l’occurrence Le Premier Rêve de l’Arche (1989, Antenne 2) pour la Mission du Bicentenaire de la Révolution française ou L’Été de Prague (1990, France 3 et Télévision Tchèque), un direct de délire sur le Pont Charles. En gros une prod de folie par an, car il me fallait bien un an ensuite pour m’en remettre.

 

Extrait du Premier Rêve de l’Arche, en direct sur Antenne 2 le 24 août 1989 depuis l’Arche de la Défense, Manu Dibango est accompagné des Tambours de Doudou Ndiaye Rose et des chœurs de Julien Jouga ; réalisation Renaud Le Van Kim, production et mise en scène Béatrice Soulé pour Printemps Images. Cette même Béatrice a par ailleurs réalisé le « Manu Dibango, Silence », (documentaire qui remporta juste la Rose d’Or de Montreux 1991), ainsi qu’un film sur Julien Jouga et deux sur Doudou Ndiaye Rose (le second n’ayant remporté que la Rose d’Argent de Montreux… Et oui, on peut pas être médaille d’or à tous coups, faut en laisser un peu pour les autres).

 

 

J’ai une particularité, appréciable quand on est directeur de production, c’est que je suis réaliste. Ou conscient, si l’on préfère. Avec Béatrice, ça s’équilibre. Un qui lâche les rênes des chevaux, l’autre qui tente de les rattraper. Quand Béatrice m’expose au téléphone le projet qui, selon elle, doit me voir tout abandonner de mes activités du moment, j’ai la même réaction que tout le monde : « C’est magnifique, oui, mais est-ce faisable ? ».

 

En même temps, je dois être raisonnable mais un rien bipolaire car, face aux obstacles, je me dis : « Ne regardons pas le sommet de l’Himalaya sur lequel on doit parvenir, contentons-nous de regarder à nos pieds le chemin qui y mène. » Et je m’entends dire OK à Béatrice, pour tout de suite m’admonester après avoir raccroché : « Dans quel bazar t’es-tu encore fourré ! ». Aujourd’hui, avec le recul, je pense que tout entrepreneur, notamment en télévision ou au cinéma, a une angoisse récurrente : « A quel moment, sur quelle affaire, vais-je me ramasser !? » C’est sans doute pour ça qu’on pousse à chaque fois le bouchon un peu plus loin, histoire de voir quel est notre point limite. Dieu sait si, parfois, la balle est passée bien près, m’a sifflé aux oreilles, mais j’ai eu de la chance, ou j’ai bien bossé, je ne me suis jamais ramassé. Reprenons une nouvelle fois ce mot de Pierre Desgraupes : « Ne pas avoir de chance est une faute professionnelle ».

 

Fin de la première partie, à suivre : 1991 – Écrire contre l’oubli, Amnesty International 2/7