1991 – Mai, Comment je m’appelle ?

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Les femmes ont l’habitude de changer de nom, par le mariage, ou du moins de voir le nom de leur époux accolé à leur nom de naissance, identité d’origine qui reste immuable, toute ta vie de femme, même mariée, tu conserveras officiellement ton nom d’origine. C’est d’ailleurs valable pour les hommes, quoiqu’il arrive, tu conserves ton nom d’origine. Toujours, sauf exceptions. Moi, avec la chance qui me caractérise, je vais faire partie des exceptions.

Nos administrations ont donc l’habitude de modifier l’identité des dames ; quand ça survient pour les messieurs, le fonctionnaire a carrément tendance à se planter, à s’emberlificoter les tampons, je sais de quoi je parle, c’est pour partie l’objet de ce chapitre.

Retour en arrière pour bien expliciter le pourquoi du comment. On se rappelle – ou si on ne sait pas on ira lire les chapitres de l’année 1962 – qu’à partir de onze ans je suis élevé par ma mère et celui qu’à l’époque je nomme encore parrain, Stanislas de Lipowski, et qu’à termes je finirai par appeler papa.

Mariage Stan et Louise de Lipowski, témoins Monique, fille de Stan, et moi-même
Mariage de Stanislas et Louise de Lipowski, témoins Monique, fille de Stan, et moi-même

Dix ans après le divorce d’Henri Moreau, ma mère se remarie avec Stanislas de Lipowski et devient donc Louise de Lipowski (ou si l’on veut être aristo-snob, et en cela suivre la terminologie de noblesse d’origine polonaise : Louise de Lipowska). A partir de là, Stan envisage de m’adopter. Il commence les démarches mais, du fait que mon père Henri Moreau est toujours vivant et au demeurant peu enclin à lui faciliter les choses, la procédure de l’époque n’aboutit pas. Il laisse donc tomber et remet son idée à plus tard.

4e de couv' Grande Boulange
4e de couv’ Grande Boulange

Se repassent encore vingt ans, j’ai donc quarante ans, on est en 1991 et je sors mon roman La Grande Boulange signé du pseudo que je me choisis pour l’occasion, et que je ne vais pas chercher bien loin : Jean-Pierre de Lipowski. En prologue du roman, le narrateur, soit l’auteur lui-même, héros de ce vrai-faux polar, évoque sa famille de Lipowski, l’arbre généa-presque-logique, la création de la branche française sous le premier Empire avec l’aïeul Lipowski fuyant la Pologne dévastée, puis, avec mon mauvais fond et mon humour – n’est-ce-pas – iconoclaste, j’égratigne un rien cette petite noblesse dans ce monde moderne où les particules sont devenues plus élémentaires que nécessaires.

Me vient une digression, explication, que je ne vais pas vous épargner. L’humour est souvent négatif, tacleur. Si ton personnage est positif, bon avec tout le monde, bisounours, ça donne vite du Mickey, de chez Walt Disney, et tu t’emmerdes. Mickey est l’archétype du personnage gentil, positif, bisounours. Heureusement qu’il est entouré de Pluto, un peu cul-cul, de Dingo, qui porte bien son nom, de Donald, niais, et de l’Oncle Picsou, figure du grand capital honni, à la fois malin et ridicule. Si Mickey n’avait pas tous ses copains et antagonistes, on se serait carrément fait yiech à lire ses aventures et ça n’aurait jamais eu aucun succès. Pour en finir avec la justification de l’humour tacleur, je vais, une fois de plus, faire référence à Pierre Desproges. Lors d’une interview, je m’en souviens j’étais présent, on lui demande : « Pourquoi Pierre, êtes-vous toujours négatif, noir, dans votre humour ? » Et Pierre de répondre par l’évidence : « Mais c’est le propre même de l’humour, si on dit du bien de tout le monde, si on est positif, on ne fait pas rire. » Et oui, car le rire est une vengeance de l’esprit. Celui déclenché par le véritable humour s’entend.

Lipo en Mickey tacleur, une oeuvre due à l’artiste Naps

Donc, dans ce prologue de La Grande Boulange, je tacle les Lipowski. Stan, qui sera un des premiers lecteurs du manuscrit, masque plus qu’un peu en découvrant le préambule, parle d’ingratitude, ce à quoi je lui réponds par l’argumentaire de l’humour développé au paragraphe précédent. Il ne m’en voudra pas plus que ça puisque c’est la parution du roman qui réenclenche la procédure d’adoption avortée vingt ans plus tôt.

« Tu es d’accord pour que je t’adopte ?

– Euh, maintenant, c’est pas un peu tard ?

– Pourquoi tard ? Il n’est jamais trop tard pour bien faire les choses. Tu tiens à continuer à t’appeler Moreau, alors que depuis 40 ans tu n’as plus rien à faire de ton abruti de père ? Qui par ailleurs ne l’est pas, biologiquement.

– Certes… Non, je n’ai rien contre le fait de m’appeler de Lipowski, d’autant que ça chante un peu plus, en terme de patronyme… c’est un peu plus original que Moreau, nom propre vachement commun car classé au 9e rang des noms les plus portés de France, juste après Durand et Dubois. OK, pour l’adoption.

– Je pense qu’il conviendrait de gommer complètement le Moreau, et que dans ton assentiment, car tu dois faire une démarche d’acceptation de l’adoption au Tribunal d’instance, tu acceptes de t’appeler uniquement de Lipowski.

– Euh… oui… euh, en fait oui et non, car ce n’est pas aussi simple. J’ai quarante ans, je suis directeur de production pour la télévision, ce qui induit que mes relations professionnelles, les gens avec qui je bosse au quotidien, mon réseau, comme on dit, tout le monde me connaît sous le nom de Jean-Pierre Moreau. Basculer du jour au lendemain sur de Lipowski, va pour eux être incompréhensible, ou préhensible mais à condition que j’explique à chaque fois mon histoire, pas simple, de famille…

– Écoute, va au Tribunal d’Instance, renseigne-toi, réfléchis.

Tribunal d’Instance de Paris 15e, le greffier : « Ça va pas être possible, monsieur. Vous pouvez, de fait sur le présent formulaire, accepter l’adoption et demander à vous appeler de Lipowski, mais je vous garantis bien qu’aucun tribunal ne validera votre requête, tout simplement car le nom de naissance, votre état civil d’origine, vous suit partout, toute votre vie, il est intangible. En conséquence, vous verrez, le Tribunal statuera sur le fait que vous vous appellerez dorénavant Moreau de Lipowski. »

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Rassuré par cet homme, j’ai donc rempli mon formulaire en acceptant l’adoption sous l’unique nom de Lipowski ; d’un côté je faisais plaisir à celui qui m’avait élevé, sans prendre pour autant de risque d’état civil puisque, à l’arrivée et si j’en croyais cet expert, j’allais avoir les deux noms et qu’il me serait alors facile, au quotidien, de me servir soit de Moreau, soit de Lipowski.

Et puis j’ai oublié, mais alors carrément oublié cette procédure qui suivait son petit bonhomme de chemin dans les méandres à tampons des tribunaux de grandes instances. X mois plus tard, m’arrive un courrier, un peu épais. J’ouvre. Tribunal de Grande Instance de Nanterre. « … vu la requête présentée par… vu les articles 343 et suivants du code civil… vu l’avis du Ministère public… attendu que la requête est régulière… le TGI convient d’y faire droit… et dit que le nom de l’adoptant sera substitué au nom de l’adopté de telle sorte que Jean-Pierre Georges Moreau s’appellera dorénavant Jean-Pierre Georges de Lipowski ». Fermer le ban.

TGI-page-2

Comme j’avais sérieusement oublié et que je pensais ouvrir un courrier de contraventions émanant d’un tribunal de simple police, je vous dis pas comme je suis tombé de haut. Je me revois encore, statufié au sortir de ma boîte aux lettres, paperasses en main, sur le bord du trottoir, à ne plus savoir comment je m’appelle. Bravo l’expert qui avait prétendu le cas de figure impossible, on venait juste de me passer à la trappe ce JP Moreau, un peu plus qu’identifié, quand même, dans le milieu de la télé. Là, il y avait à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle, mais c’était la même.

J’ai avalé, que voulez-vous que je fasse ? Je ne me voyais pas en effet courir au TGI de Nanterre pour leur dire : « C’est bien mais c’est trop. On ne peut pas modifier le tir ? » Impensable, ne serait-ce que dans mes relations avec mon père, Stan. Donc j’en ai pris mon parti et me suis mis en demeure de modifier, de A à Z, toutes mes paperasses d’état civil. On se dit, au départ, que la carte d’identité, ça va être le plus simple. On va voir que non. Mais y a pas que le basique identitaire, y a tout le reste, la carte grise de la bagnole, le passeport, le livret de famille, la sécurité sociale, la banque, enfin bref, toutes ces strates d’identification qui te font bon et honnête citoyen.

Le premier problème est apparu le soir même quand je suis rentré à la maison et que j’ai dit à mon fils, patronyme « Moreau », quatre ans, qu’à dater de maintenant tout de suite il s’appelait de Lipowski.

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Irréductible.

« Ah bah non, je veux pas, tous mes copains m’appellent Moreau, de quoi je vais avoir l’air ! En plus, le nom de papy est imprononçable, on sait même pas comment ça s’écrit…

– J’ai bien peur que tu n’aies pas le choix…

– Mais mes copains !

– Écoute, c’est la fin de l’année scolaire, tu vas changer d’école puisque l’année prochaine tu es au CP, tu vas donc changer de copains, le tour est joué.

– Ouiiinnn… ! »

Ensuite, il y a le service carte d’identité de l’Antenne de la Préfecture. Je suis à leur comptoir, avec le bon numéro d’appel pris au distributeur une heure trente plus tôt, et je sors toute la paperasse nécessaire à refaire ma carte d’identité. J’ai bien pris garde de tout amener car y a rien de plus tuant que de se taper une attente préfectorale pour se faire retoquer sur l’absence d’un élément.

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« Il me faut un extrait de naissance, dit un jeune flic frais émoulu d’une école qui ne lui a pas bien appris son boulot.

– Le voici. »

Il regarde mon extrait de naissance, propre et net car tapé à la machine.

« Il n’est pas valable, cet extrait de naissance.

– Comment ça pas valable ?

– Non, il me faut en extrait de naissance original, celui-ci, dactylographié, n’est pas le bon.

– Ah… mais je n’ai que ça.

– Vous devez vous rendre à la mairie de votre naissance, monsieur, Argenteuil en l’occurrence, pour demander un extrait original.

– Mais…

– La personne suivante s’il vous plait. »

Et que voilà, retoqué. Content. Étape suivante : comptoir d’état civil de la Mairie d’Argenteuil. Une matrone martiniquaise écoute ma requête, mon extrait de naissance tapé à la machine en main.

« Je vais voir » dit-elle.

Elle va voir quoi ? me dis-je.

Elle file dans une pièce attenante où je la vois, hissée sur la pointe des pieds, attraper un grand registre, relié. Elle ouvre le registre, vérifie un truc, referme le registre, revient vers moi accoudé à son comptoir.

« Le fonctionnaire qui vous a dit ça vous a dit une bêtise. Dans votre cas, cet extrait de naissance est tout à fait valable.

– Comment ça dans mon cas ? Parce que je suis un enfant adopté, à la naissance ?

– Ah, vous êtes au courant… Bah oui, c’est ça, dans votre cas, adopté, cet extrait est on ne peut plus valable.

– Mais, attendez madame, je vous ai vue compulser un registre. D’état civil, j’imagine. Qu’y-a-t’il dans ce registre ?

– Ah ça, monsieur, je ne suis pas autorisée à vous le montrer.

– Ah…

– Si vous voulez savoir ce qui figure dans ce registre, il vous faut faire une requête au Procureur de la République, lui seul peut vous donner, s’il le juge bon, accès à ce registre. »

Je suis sorti de la mairie d’Argenteuil consterné. Pas tant par le compliqué des méandres de l’état civil que consterné par moi-même. Quoi, en quarante ans de vie depuis une naissance aux racines sectionnées, jamais je n’avais eu le minimum de curiosité requise pour ne serait-ce que m’intéresser aux potentialités d’un recours au registre d’état civil ! Registre où, maintenant ça me semblait une évidence, se camouflait le secret de ma naissance, où l’on devait trouver, tout simplement, le nom de mon père et de ma mère biologiques ! J’avais, volontairement, mis un tel couvercle de plomb sur les circonstances de ma naissance que jamais ne m’avait effleuré l’idée que, sur une malheureuse requête, on puisse sortir la vérité du puits tout simplement en tournant la manivelle du seau. Jamais je ne m’étais étonné, notamment, que mes extraits de naissance soient, propres et nets, tapés sur une machine moderne alors que ceux du commun des mortels, nés bêtement de leurs parents, avait une photocopie un peu crade offrant soit la calligraphie d’origine de l’officier d’état civil, soit une dactylographie vieillotte car tapée sur une machine à écrire datant de leur naissance.

Quelle andouille, quel déni ! Plus acte manqué que ça, tu trouves difficilement.

Un mot sur le couvercle de plomb… Un psy dira assurément qu’il y a un lien entre ma perte de parents biologiques, ma perte de racines, et mon souci de regarder toujours vers le futur, de ne pas me retourner sur le passé. Il est vrai que j’ai vécu des décennies ainsi et qu’il aura fallu attendre ce roman-photo Otium pour que je daigne me retourner en arrière. On notera toutefois, à constater les archives photos et films de ce site, que j’ai, depuis des lustres, pris la précaution d’emmagasiner ce qui allait m’aider à regarder dans le rétroviseur. Dans mon idée du futur, était contenue celle de pouvoir, un jour, inventorier le passé.

Le soir même, bien sûr, j’écrivais une belle lettre, argumentée, au Procureur de la République. Puis, encore une fois, pris par les cavalcades de la vie, j’oubliais. Se passent à nouveau quelques semaines puis boîte aux lettres again. Un courrier, dudit Procureur, mince cette fois ci. J’ouvre, toujours sur mon trottoir devant mon immeuble.

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« Monsieur, pour faire suite à votre courrier du tant, j’ai l’honneur de vous indiquer que votre acte de naissance est parfaitement rédigé et qu’aucune rectification ne s’impose… Je vous joins copie de votre acte de naissance intégral… Veuillez croire, Monsieur, à l’assurance de… »

Dans l’enveloppe, un papier, plié en deux. Je déplie, tombe sur une simple photocopie, et là, à nouveau statufié sur le trottoir de mon 74 rue de la Croix-Nivert, Paris 15e – on a depuis retiré la statue, ne la cherchez pas -, je découvre les racines, mes racines, mises à jour. Le nom de ma mère, Adrienne Fourmond, sans aucune mention du père, donc aussi inconnu que le soldat.

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Jean-Pierre Fourmond, Henri-Paul Moreau, Jean-Pierre Moreau, Jean-Pierre de Lipowski… comme disait la concierge d’un immeuble d’une histoire drôle pas drôle : « Passez, passez, et que le dernier ferme la porte. »

Ma mère, biologique, née en 1915, était domestique de son état. Ceci confirmait au passage les dires de ma mère Lisette qui s’était fait ouvrir le dossier d’Adrienne Fourmond avant adoption, histoire de vérifier les antécédents de la fabrique du cadeau dont elle devait prendre livraison. Selon les informations qu’elle avait recueillies, Adrienne s’était fait engrosser par un peintre, italien. Italien oui mais pas Michel-Ange ou Léonard de Vinci, qui étaient déjà morts à l’époque, plutôt du genre Caruso-sur-échafaudage, un gars venu repeindre l’appart des patrons de l’Adrienne, avec le bon coup de pinceau nécessaire à donc engrosser la bonne. « O sole mio… ». Quand on est soi-disant de père inconnu, on se dit qu’on a quand même quelque chance d’être sorti de la cuisse de Jupiter. Dire cuisse m’évite d’être plus trivial. En même temps, Jupiter n’est pas un parangon de morale, on se souviendra que son épouse, Junon, est juste aussi sa sœur… Bref, toujours sur mon trottoir, je tombais donc de haut en dévissant de l’Olympe puisque mon père, incestueux, ne semblait pas être Dieu, que je ne pouvais donc prétendre au titre envié de Fils de Dieu, car, même avec la meilleure volonté du monde, je ne voyais pas Jupiter aller circonvenir une bonne dans la Seine et Oise des années 50.

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Mon côté romanesque a élaboré un autre scénario sur les circonstances de ma conception. Cela m’est venu récemment en visionnant le film de Philippe Le Guay, Les Femmes du 6e étage, où Fabrice Luchini se voit détourné de son univers bourgeois par sa bonne espagnole. Qui nous dit que le patron d’Adrienne ne l’a pas poursuivie de ses assiduités, harcelée, coincée, puis au final engrossée ? Peut-être même en est-elle tombée amoureuse, qui sait ? A partir de là, une bonniche, célibataire, dont le ventre gonfle tous les jours, ça fait désordre dans l’argenterie. Peut-être juge-t-on plus prudent de la renvoyer un temps, quelques mois, dans sa famille en province. Elle revient en banlieue parisienne pour accoucher d’un beau garçon mais hors de question de l’installer dans sa chambre mansardée, x étages au-dessus de celle qui s’est fait cocufiée et à qui elle sert la soupe tous les soirs. D’où son souhait, dûment déclaré, contresigné, d’abandonner le gosse à la naissance, d’où le fait que l’Assistance Publique se met en branle pour trouver une famille adoptante à cet orphelin. Voilà comment un romancier aime à fabuler sa propre histoire.

(Une minute de récréation avec la bande-annonce du film Les Femmes du 6e étage.)

Reprenons : je n’avais rien foutu durant quarante ans, il convenait maintenant que je me rattrape. J’ai d’abord écrit à la commune de naissance d’Adrienne histoire de retrouver sa piste ; je me voyais bien, claquant la portière de ma voiture dans un petit village du Loir et Cher, remontant l’allée vers un humble chaumière où une femme aux cheveux blancs, s’essuyant les mains sur un torchon douteux, était sur le pas de sa porte à observer cet étranger arrivant chez elle ; je m’immobilisais à deux mètres d’elle, la regardait intensément, puis disais : « Je suis ton fils, Adrienne… ». Et nous tombions dans les bras l’un de l’autre alors qu’une nappe de violoncelles sublimait la scène en fond sonore. Bah non. La réponse m’est revenue en huit jours, nouveau coup de hache sur mes racines, avec une simple mention au coin du courrier que j’avais adressé à la mairie de Fontaine-Les-Coteaux : « Adrienne Fourmond, décédée le 22 avril 1959. » On était en 1991, je venais juste de la rater de 32 ans.

Ensuite, il y eut le Minitel, en l’absence de Monsieur Google encore dans les limbes du numérique en 1991. Et là, je le sais maintenant, j’ai commis un nouvel acte manqué. Je me dis « Cherchons les Fourmont dans le Loir et Cher, cette femme avait forcément une famille, ils n’ont pas disparu avec elle. » Si vous êtes attentif à ces lignes, vous remarquerez que j’ai écrit exactement ce que fut l’objet de ma recherche avec le Minitel, à savoir Fourmont avec un T. Alors qu’Adrienne s’appelait FourmonD… Aucun FourmonT à Fontaines-Les-Machins, aucun FourmonT dans le département, ni dans ceux limitrophes. Tu m’étonnes.

Toute ma quête, bien tardive, soumise aux effluves de l’inconscient, dirait un psy, finissait en eau de boudin.

Deux précisions annexes avant de passer à autre chose : l’expert greffier, qui m’avait annoncé l’impossibilité de gommer l’état civil premier, de gommer le Moreau, se doit d’être excusé car il ignorait le fait que ma première identité n’était pas Moreau mais Fourmond. Si être adopté n’est pas rare, c’est toutefois pas, statistiquement, la première particularité de la population française. Où l’exercice devient inaccoutumé, c’est quand tu te fais adopter deux fois, en cascade. C’est ce cas de figure assez rare qui fut à l’origine de la décision du Tribunal de virer complètement Moreau de mon état civil.

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Reste que, soudain, je m’appelle de Lipowski alors que tout le monde m’appelle Moreau. J’ai réussi à résoudre le problème professionnel avec l’artifice du pseudo, officiel, celui que pratique couramment nombre de comédiens, tel, au hasard, Ivo Livi plus connu sous le nom de Yves Montand. Escorté de trois témoins dits de moralité, je suis allé à la mairie et ai fait établir un acte de notoriété disant que Jean-Pierre de Lipowski était également et notoirement connu sous le nom de Jean-Pierre Moreau. Mention portée sur la carte d’identité. A l’époque. Ne vous précipitez pas à la mairie pour dire que vous être notoirement connu sous le nom de Brad Pitt ou de Vladimir Poutine, ça ne marche plus. Depuis quelques années, la loi a changé et l’état civil n’accorde désormais que très difficilement l’adjonction de pseudo à l’identité officielle.

Robert McKee
Robert McKee

Et voilà, on arrive à la fin de cette histoire qui elle-même se termine en impasse. L’américain Robert McKee, grand professeur de scénarios, dit qu’il ne comprend pas les films où ils ne passent rien, car la vie réelle est bien meilleure dramaturge que les scénaristes chiants. Et il a raison, car on n’est jamais à l’abri d’un rebondissement dans une histoire que l’on croyait définitivement close. A preuve, ce qui va m’arriver, vingt ans plus tard, à un moment ou je ne manque pas d’éviter les actes manqués, et où j’appelle à l’aide Monsieur Google.

Mais ça, c’est une autre histoire… fin de celle-ci (si vous voulez survoler les chapitres suivants pour sauter directement au Vingt ans plus tard : 2014 – Janvier, la rencontre de Montoire).

La suite : 1991 – Écrire contre l’oubli, Amnesty International 1/7