Paradoxe
Quelle étrange chose que la langue, les langues plutôt ; au milieu du 17e, apparaît en Flandre le terme stilleven pour ce qui est de la représentation des pièces de fruits, fleurs, poissons, chose que les Allemands vont adapter en Stilleben puis les Anglais en still life, une expression qui peut se traduire simplement par encore en vie mais que les linguistes préfèrent traduire par vie immobile. Les Français de l’époque, bien loin de l’écologie d’aujourd’hui qui subodore une vie propre aux légumes, adopteront pour leur part le terme de nature morte.
Pour le titre de ce chapitre, nous avons retenu still life, pas tant par snobisme que pour s’autoriser le paragraphe précédent qui nous donne l’occasion de s’arrêter une seconde sur ce paradoxe entre langues française et anglo-saxonne, l’une voyant dans ces objets inanimés, chers à Lamartine, une chose morte, l’autre une chose vivante. De là à dire que les Français sont pessimistes alors que les Anglais optimistes, il y a là un pas que nous nous garderons prudemment de franchir.
JPL
Poivron etc
Jean-Pierre, mon compagnon et néanmoins mari, aime beaucoup cette nature morte (morte, certes, mais le poivron n’a pas souffert). Il y retrouve sans doute un côté Cézanne. Il est vrai que le fond noir dominant le blanc, accentue la luminosité des fruits et légumes. De mémoire, je crois avoir peint la toile rapidement, tout ça pour accoucher d’une chose qui, apparemment, séduit son monde. Et ça, on ne sait jamais à l’avance… Que l’on passe trois mois ou trois heures, état de grâce ou pas, on ne sait jamais à l’avance quel sera l’impact sur le spectateur. En tout cas, il fut bon sur Jean-Pierre, qui a toutefois dû se résoudre à voir disparaître la toile, elle fut en effet l’objet d’un premier lot lors d’une tombola au profit d’une association oeuvrant pour des orphelins rwandais.
Baguette à la fenêtre
Je suis, à l’arrivée, assez satisfaite de cette nature morte dont l’exposition de départ (voir photo ci-dessous) m’avait séduite par l’ombre et lumière arrivant dessus. Pas de commentaire particulier, la toile parle d’elle-même, en revanche elle m’a permis d’apprendre un nouveau mot. Je ne sais plus qui, appréciant le tableau, m’a dit : « C’est marrant car ça fait autoportrait en même temps — Comment ça autoportrait ? — On devine le peintre dans le reflet du mug. » Bien vu ! Mais pas du tout. On peut vérifier sur la photo, c’est le reflet de je ne sais quoi (pas la fenêtre, le mug lui tourne le dos, si je puis dire) mais pas de moi-même. C’est ce qu’on appelle une « paréidolie », soit un processus survenant sous l’effet de stimuli visuels, portant à trouver une forme familière dans un paysage, un nuage, de la fumée, une tache d’encre. On apprend plein de trucs, is’n it ?
Passoire splittée
« Splitter » signifie « fractionner », une technique dorénavant courante dans le domaine de l’image au sens large, en particulier télévision et internet. Plus rare en peinture. Partie d’une mise en place de nature morte classique, il y eut d’abord le choix du noir et blanc, puis vint ce fameux split d’image, amplifié par l’effet loupe de la passoire. Pas évident à exécuter car forcément incohérence, graphique, entre les deux dimensions qui ne peuvent pas se raccorder. Au bas de la passoire, si, il y a continuité ; en haut, évidemment que non. Au final, cette toile à deux dimensions fonctionne, notamment parce que l’œil — ou la raison — ne percute pas immédiatement sur lesdites deux dimensions.
Pomme aux petits oignons
Titre de tableau on ne peut plus cohérent. Si l’objet central ne m’a guère posé de soucis, je me suis confrontée, une fois de plus, au problème du fond. Du blanc au beige en passant par quelques autres tubes d’acrylique, j’ai ramé un moment. Puis vint le noir, légèrement matiéré, et c’est lui qui au final a emporté l’affaire. Par son contraste, évidemment, qui renforce la nature morte, et par la façon dont le noir renvoie la lumière. Je comprends mieux Soulages.
Potiron sur drapé
Si ce potiron, tranché par le milieu, et le pot de fleur ne m’ont guère posé de problèmes, on peut imaginer que les choses s’aggravent quand on en vient au drapé, un fichu tissu qui attrape la lumière de tous les côtés. Ensuite, débrouille-toi Jeannot, y a plus qu’à reproduire…
La Quincaille
« La Quincaille » est le nom du magasin de notre quincailler local, mais cette toile aurait aussi bien pu s’appeler « Castorama ». Si le thème du tableau est pour le moins rustique, on est ici dans un mode tendant à l’hyperréalisme. Notamment dans les détails des chaînettes, de la corde, de l’acier de la scie (et je ne parle pas des dents de cette fichue scie, quel boulot…). Outre que j’ai désormais de quoi me faire embaucher dans n’importe quel rayon « Outillage », je suis assez satisfaite du fond, matiéré, qui aide au relief des outils.
Brueghel La Jeune
J’aime bien cette chaise, peut-être parce qu’elle est mal foutue. Jean-Pierre avec son œil plus cartésien qu’américain dit que la perspective est ratée. Il me demande au passage : « C’est quoi l’espèce d’étagère à CD derrière ? » (Jean-Pierre est un poète.)
– C’est pas une étagère, c’est une échelle de meunier.
– Ah… pour un meunier nain alors, façon Brueghel. C’est bien ce que je dis, y a un problème de pers’. »
C’est dur de discuter avec des poètes.
Bon appétit
Ici, on a affaire à un composite peinture-collage : fenêtre et chaise sont peintes, le plateau et ses assiettes sont réels, collés. C’est ce qu’on appelle une recherche.
Le cartésien Jean-Pierre a aussi du mal avec la recherche : « On est pas couché pour déjeuner à cette table, ou alors si, faut se coucher pour y déjeuner. »
Pour défendre ma recherche, je dirais que j’ai marié ici trois plans impossibles : la fenêtre est en deux dimensions, la chaise est en vue cavalière, le plateau et ses assiettes en plongée totale.
Le chercheur ne doit pas se laisser démonter par le plébéien rationaliste.
Stabile stable
Quand on arrive ce jour-là dans l’atelier, on croit que Nadine Nacinovic est en train de faire le ménage. Pas du tout, c’est l’exercice du jour.
Pas facile le travail car tu perds tes références dans cet amalgame et tu finis par loucher ce qui ne facilite guère le rendu des volumes.
A noter que ce stabile, tenant d’une expo d’art contemporain, a tenu toute la journée sans s’écrouler par terre, chose que tous les présents souffrant à la tâche devaient secrètement espérer.
Les Cordeuses
Après la période Chaises, nous avons eu la période Chaussures.
Consigne était donnée à chacun d’apporter des croquenots, qui les siens, qui ceux de son mari ou du père, du grand-père etc. Rendus à l’atelier, on rassemble tout ça, chacun choisit chaussure à son pied, si je puis dire, et roule ma poule.
Moi, je l’ai joué sage, et bleu, avec ces espadrilles ressortant de la collection personnelle de Nadine Nacinovic. Elles pendent sur le mur de l’atelier, c’est leur ombre portée qui aident à les en détacher et les remettent en volume.
Le titre Les Cordeuses fait référence à une œuvre à gros succès populaire…
Le Père Noël est une ordure, Théâtre de la Gaîté-Montparnasse, 1981.
Les sandales de Josette
Sous les sandales, la plage. Comme la mer ne vient pas encore jusqu’à la Drôme (il semblerait qu’à terme ce soit le cas), ce sont mes sandales qui y sont allées.
Les Chaussures de l’homme
Le titre aurait pu être Lassitude en sanguine mais autant faire simple. On ressent néanmoins une certaine mélancolie dans l’usure. N’est-ce pas ?
Camper compensées
Sans faire aucunement dans le placement de produit, les initiéEs auront reconnu au titre du tableau une marque célèbre que, personnellement, j’affectionne, sans être fétichiste le moins du monde avec les chaussures. (« Encore que… » dira Jean-Pierre.)
Elles sont rigolotes mes chaussures – on aura compris qu’elles sortent de ma collection privée – car, vues de face, strictes, montantes, bref, pas très glamour, on dirait des godillots de bonne sœur. Sauf que de profil, haut talon compensé, liseré jaune en base pour les décoller du sol, c’est bien plus sexy et ça te fait une belle jambe.
Reconnaissons que le talon compensé n’apporte toutefois pas la souplesse du talon aiguille car ça raidit la démarche, façon sabots. Bon, on parlait là entre filles. Pour en revenir à la peinture, j’ai, il me semble, bien réussi les volumes, les reflets, la profondeur, y compris celle de ma table basse de salon.
Boîtes sixtines
Deux boîtes en fer blanc, c’est un tableau a priori prosaïque mais attention, l’exercice est aussi périlleux que le plafond de la Chapelle Sixtine, surtout si l’on en réfère au célèbre adage Tout est dans tout et réciproquement, d’Alfred Capus, qu’on ne doit pas confondre avec Alfred Camus, qui ne s’appelait pas Alfred.
Ici, en effet, il y a toute la difficulté de la bonne forme, de la juste proportion, des bonnes teintes, quasi monochromes d’ailleurs hors la touche rouge du pinceau, donc toute la difficulté de rendre en peinture ce que l’on voit au réel, et nous revenons en cela à la nécessaire maîtrise du parcours regard-cerveau-main-pinceau.
Il m’arrive d’avoir d’authentiques problèmes de concentration, je peux être éparpillée façon puzzle, comme dit Alfred Blier dans les Tontons Flingueurs, donc devoir se concentrer sur tel objectif, même banal, m’impose une totale zénitude.
Je me dois en même temps de reconnaître que ce n’est pas la Chapelle Sixtine ; Alfred Michel-Ange Buonarroti, quand il descend de l’échafaudage pour voir son plafond, il peut-être ému car il voit Dieu ; moi, quand je me recule, je ne vois que deux boîtes de conserves… C’est un des malheurs de l’Alfred que je suis.
Drapé post-Renaissance
Une autre toile faite sous l’égide de Robert Montaudouin.
Je suis assez satisfaite des fruits et de la profondeur des choses, notamment celle donnée à la théière ; côté plis du tissu, j’ai encore du travail pour atteindre les drapés Renaissance, mais je me soigne.
On peut retrouver nombre de pièces de Robert Montaudouin dans l’article d’Accro Terre qui lui est consacré : Accro Terre, Robert Montaudouin.
Le pot de lapin
Ambiance quelque peu asiatique pour cette composition sur fond de lune et fantôme de fenêtre.
J’avoue une certaine prédilection pour les demi-teintes, soit le non-vif, comme ici où l’on est dans le grège. Pour la petite histoire et sa technique, nous négocions avec notre pharmacien la récupération de ses grands cartons publicitaires, dits PLV. Ils sont marouflés de toile de lin fixée avec de la colle peau de lapin, pauvre bête, avant d’être enduits de gesso.
On ne le voit pas trop sur la photo, mais tout le bas de la toile est matièré par des bandes de gaze argileuse, issues de la même pharmacie, ce qui permet de donner du relief au béton sur lequel était posé le modèle.
Les PLV et les bandes d’argile ne pouvant faire l’objet d’ordonnances, rien n’est remboursé par la Sécurité sociale.
La pomme à fond
Pour la séance du jour, chacun devait apporter un objet de son choix. Ma copine Josette avait amené une pomme, j’ai l’ai croquée.
Cela a donné cette tentative cataloguée de psychédélique par mes camarades. Sans doute car je fais ici rayonner la pomme, chacune de ses teintes explosant au cinq coins du tableau, ce qui est rare pour une toile n’en comportant que quatre. Autre avantage ici, forme et fond ne font qu’un vu qu’on a pas besoin de fond, le rayonnement de la pomme en faisant office.
Braque braque
Pour cette toile, le thème était au cubisme braque, ou à la Georges Braque si l’on préfère.
On y reconnaît, dans un composition cubiste qui n’est pour autant pas carrée, une balalaïka-poisson, une huître, un aileron de requin, une raie, une boite de sardines sans sardines, un pupitre d’orchestre, le tabouret à ressorts de Nadine et la conjugaison au présent de J’aime le poisson, que l’on lira confortablement si l’on fait les pieds au mur.
Cartes postales
Après le fétichisme sur les chaussures, proprement féminin dit-on, on a aussi fait dans le fétichisme lingerie qui pour le coup apparaît plus universel, les dames pouvant y être aussi addictes que les messieurs.
Notre travail devait s’appliquer en format cartes postales mais j’ai choisi de ne pas les envoyer à ma famille pour plutôt les réunir en un ensemble.
On est un peu partie dans tous les sens mais, dans mon patchwork de petites culottes et de soutiens-gorge, on saura reconnaître un clin d’œil à ma copine Luce Vigo, fille du réalisateur de Zéro de Conduite, un masque africain, la tête de Peggy Guggenheim et des bouts du catalogue de l’Academia de Venise, deux souvenirs ramenés d’une escapade dans la ville du même nom.
Monnaies en chocolat
Nous avons ici une copie de la toile Monnaie du Pape du peintre David Chauvin, un aquarelliste doué d’une telle finesse et dextérité que c’en est démoralisant.
Je crois toutefois m’en être relativement bien sortie, oeuvrant au passage pour une peinture alimentaire, sachant que les teintes marron sont réalisées par un saupoudrage de cacao.
Inutile de lécher la photo, ça ne marche qu’avec l’original.
Rez-de-marée
Ceci est la porte de l’atelier de Nadine Nacinovic menant à un cellier où elle entrepose ce bazar dont les artistes ont souvent le secret.
Le sol de l’atelier étant dans un béton un peu froid, la mer est venue heureusement l’inonder, sans doute pour moi réminiscence d’un tableau de Dominique Appia, peintre genevois qui aimait à faire entrer l’océan dans les maisons, déçu de n’avoir que le Lac Léman à sa porte.
Poisson aux agrumes
Le titre est sommaire mais il résume bien l’œuvre. Elle est issue d’un exercice dans l’atelier de Nadine Nacinovic. La sole était fraiche, à la première séance, puis Nadine la remettait au congélo jusqu’à la suivante. Au bout de trois séances, il était temps de boucler la toile car la sole, malgré sa récurrente hibernation, commençait à sérieusement nous attaquer les narines. Moi qui peux avoir du mal à me concentrer, j’avoue apprécier ces exercices qui me contraignent à une attention soutenue. Mon entourage salue la mise en volume de cette nature morte et notamment des oranges, appréciations qui flattent l’égo, certes, et c’est toujours mieux que le contraire. Il est souvent étonnant de constater, en regardant de très près une toile, combien les reflets de lumières, ceux qui vont élever vers la 3D un motif à plat, sont simplement traduits par une légère touche de blanc. Un coup de blanc bien ajusté et survient cette brillance de lumière qui apporte le relief. On en mangerait, des oranges j’entends, la sole, je vous conseille pas, elle a passé sa date de péremption.
Rwanda sur bois
Au registre des supports différents, j’ai aussi tenté l’aventure sur du bois, brut, d’arbre. En l’occurrence sur des tranches de rondin que m’avait données Florence Fallot, la présidente de l’association « Kigali en fête » qui milite – et réunit des fonds – pour un orphelinat au Rwanda. J’ai donc composé différentes miniatures destinées à des ventes de charité.
L’oiseau est directement inspiré d’un sculpture à ressort et en ferraille du talentueux Mustapha Cheikh (j’ai souvent exposé ses œuvres dans ma boutique Cinecitta), le zèbre et les masques africains viennent tout droit de tissus africains, et l’iris, de mon jardin, tout simplement.
Pour la tête d’homme, cherchant l’inspiration en googleisant « vieil homme noir », je suis tombée sur une photo de Morgan Freeman, pas étonnant que ma tranche de rondin ait au final cette belle tronche de star.
Les Échappées
J’emprunte ici le titre de la célèbre rubrique de Charlie Hebdo, celle-là même qui présente les dessins de couverture sur lesquels les dessinateurs maison ont travaillés, sans qu’ils soient pour autant retenus en Une de la semaine, d’où ce titre induisant «Les couvertures auxquelles vous avez échappées ». Comme la visite de cette expo virtuelle ne doit pas vous prendre la journée, sont ci-dessous rassemblées quelques une de mes toiles ne faisant pas l’objet de commentaires. On y retrouve même deux sculptures, mais mon mari, qui fait le ménage (parfois…), se plaignant déjà des taches de peinture dans mon atelier, je trouve plus prudent de réserver cet exercice argileux à l’atelier de Nadine Nacinovic.
Caroline
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